Intégrer les "serious games" dans l’enseignement pour motiver les élèves.

Le rendez-vous de la recherche, par Brigitte Arnaud

La problématique de la motivation de leurs élèves est au centre des préoccupations de tous les enseignants qui souhaitent les faire progresser. Développer l’estime de soi et le sentiment d’auto-efficacité sont donc essentiels pour amener les apprenants (jeunes ou plus âgés) à adhérer à l’enseignement qui leur est proposé. Je me suis donc intéressée à l’impact que pourrait avoir l’intégration des jeux sérieux dans les pratiques pédagogiques en général et je me suis demandée quelles activités il était possible de leur proposer en classe.

Mais les ‘jeux sérieux’, qu’est-ce-que c’est?

Dans sa thèse publiée en 2007, Julian Alvarez définit le jeu sérieux comme ‘une application informatique, dont l’intention initiale est de combiner, avec cohérence, à la fois des aspects sérieux (serious) tels, de manière non exhaustive et non exclusive, l’enseignement, l’apprentissage, la communication, ou encore l’information, avec des ressorts ludiques issus du jeu vidéo (game)’. En 2017, Laurence Schmoll dans son article ‘Penser l’intégration du jeu vidéo en classe de langue’, examine les différentes modalités du jeu sérieux tout en précisant que ‘Employer le jeu vidéo en classe de langue implique d’en connaître ses différentes modalités, afin de choisir avec pertinence celle correspondant le mieux, non seulement aux besoins et centres d’intérêt des apprenants, mais aussi aux objectifs institutionnels, pédagogiques et langagiers’. Elle cite ainsi (entre autres), le logiciel éducatif qui ‘présente un contenu éducatif, en insérant des séquences ludiques avec des défis ou des récompenses’, ou encore la gamification qui permet ‘d’intégrer des ressorts ludiques à un contexte au départ non ludique’. Le ‘learning game’ peut être considéré comme un ‘vrai’ jeu sérieux: il peut s’appliquer à tous les milieux (publicité , éducation...) et permet au joueur de prendre des décisions pour avancer comme dans un jeu vidéo commercial. Pour finir, le ‘serious gaming’ ‘consiste à employer des jeux vidéo existants, autrement dit conçus à des fins uniquement ludiques à l’origine, en leur attribuant des objectifs d’apprentissage’ (L. Schmoll).

Sans surprise, la plupart des recherches concluent à une plus-value évidente des jeux sérieux concernant les gains d’apprentissage comparé à un enseignement conventionnel et les apprenants sont en général plus motivés. Il est néanmoins nécessaire de coupler ces jeux sérieux avec d’autres méthodes pédagogiques afin d’en décupler les effets bénéfiques. Il est évident que le contexte du jeu , où l’apprenant doit prendre des décisions qui l’amènent à acquérir de l’autonomie et à faire grandir son estime de soi, permet une plus grande motivation. A cela se rajoute la dédramatisation de l’erreur puisque celle-ci est attribuée au jeu et non aux capacités de l’apprenant. Le jeu sérieux est également intéressant pédagogiquement puisqu’il donne une place particulière au professeur, qui se met en retrait et se transforme en accompagnant de l’apprentissage actif via le jeu sérieux. L. Schmoll le rapproche ainsi de la perspective actionnelle en langue et du scénario éducatif qui permet à l’élève ou à l’étudiant d’agir tout en apprenant.

Cependant, le choix du jeu sérieux implique que le professeur y passe du temps car il doit être pertinent pour l’apprentissage concerné et il n’est pas sûr que ce choix soit facile parmi le nombre croissant d’offres sur le marché. De plus, il faut être sûr que le gain d’apprentissage soit réel car certains jeux peuvent paraître graphiquement attrayants sans pour autant être riches en contenu éducatif. Il est également probable que les apprenants soient déçus de la qualité des jeux sérieux comparés aux jeux vidéos du commerce car les développeurs de jeux sérieux ne possèdent pas les mêmes moyens financiers.

A première vue, le "serious game", une fois bien choisi et conforme aux programmes, devrait pouvoir être utilisé dans la classe pour acquérir des connaissances et renforcer des compétences. Julian Alvarez propose trois façons d’exploiter le jeu sérieux: faire une évaluation diagnostique en début de jeu afin de pouvoir ajuster son enseignement; mener une évaluation formative tout au long du jeu, ce qui devrait permettre de mettre en place une différenciation si nécessaire; faire une évaluation sommative en fin de jeu. On peut également imaginer que le jeu puisse être utilisé hors la classe pour permettre aux élèves de s’avancer dans l’apprentissage des connaissances surtout pour ceux qui souhaitent aller plus loin ou pour ceux qui auraient pris du retard en classe. Encore faut-il qu’ils puissent avoir accès à ce jeu au domicile.

Exemples de jeux sérieux utilisables en classe

Le jeu sérieux ‘TipsToque’ a été imaginé par des collègues du lycée Jean Vigo de Millau pour enseigner l’anglais professionnel "On met les élèves en binôme cuisine et serveur et on leur demande de rapporter le maximum de points de satisfaction", explique C Ouallet. "Au fur et à mesure des interactions avec les clients ou le chef, leur jauge de satisfaction évolue selon leurs réponses". Les élèves travaillent donc le vocabulaire anglais. Mais il travaillent aussi la compréhension orale et même l'expression écrite’. Ce jeu est gratuit. Le but des collègues était ici de ‘rendre l’anglais plus attractif’ et surtout de ‘fédérer la classe’. Pari gagné visiblement.

La DANE (Direction académique au numérique éducatif) de Créteil a crée un parcours Magistère entièrement dédié au jeu vidéo où vous pouvez trouver des suggestions de jeux sérieux par matières et par thèmes. Il y a également une page Wiki qui a été créée pour l’occasion et qui recense 137 jeux pédagogiques, certains sont gratuits et accessibles en ligne , d’autres sont payants.  Il s’agit de participer à une communauté d’échanges et de pratiques mais cela permet surtout de recueillir des informations fiables de collègues qui ont déjà expérimenté des jeux.

Un autre parcours intéressant est celui du M@gistère d'Aix Marseille "Le jeu numérique au service des apprentissages": il permet d'accéder à de nombreux jeux mais aussi à des scénarios pédagogiques.

Le parcours M@gistère de l'académie de Nice permet même de créer des jeux simples.

Conclusion

Enseigner avec les jeux sérieux me semble être une très bonne option pour varier son enseignement et pratiquer une différenciation qui peut amener à motiver les élèves en difficulté. Il reste cependant à nous former et surtout, à en voir l'utilité et la pertinence dans nos séquences pédagogiques.

Par Brigitte Arnaud


Références

  • Julian Alvarez. Du jeu vidéo au serious game : Approches culturelle, pragmatique et formelle. Multimédia . Université Toulouse, 2007. Français.https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-01240683
  •  Cerezo, C. (2012). Un serious game junior, vecteur d'estime de soi et d'apprentissages pour des élèves de CM2. Adolescence, 301, 133-143. https://www.cairn.info/revue-adolescence-2012-1-page-133.htm   
  • Habgood, M. P. J., & Ainsworth, S. E. (2011). Motivating Children to Learn Effectively: Exploring the Value of Intrinsic Integration in Educational Games. The Journal of the Learning Sciences, 20 (2), 169–206. https://urlz.fr/hjxV   
  • Laurence Schmoll, « Penser l’intégration du jeu vidéo en classe de langue », Recherche et pratiques pédagogiques en langues de spécialité [Online], Vol.36 N°2 | 2017,  URL : http://journals.openedition.org/apliut/5722 ; DOI : https://doi.org/10.4000/apliut.5722

  • Patrick Schmoll. Jeux sérieux: exploration d’un oxymore. Revue des Sciences sociales, Presses Universitaires de Strasbourg, 2011, Jeux et enjeux pp.158-167. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01300938

  • Sutter Widmer Denise, Szilas Nicolas. Motivation, comportement dans le jeu et expérience de jeu : une relation aux multiples facettes. In: Sciences et Technologies de l'Information et de la Communication pour l'Éducation et la Formation, volume 24 n°1, 2017. Sélection de la conférence EIAH 2015. pp. 265-297; doi : https://doi.org/10.3406/stice.2017.1733 
  • **Wouters, P., van Nimwegen, C., van Oostendorp, H., & van der Spek, E. D. (2013). A meta-analysis of the cognitive and motivational effects of serious games. Journal of Educational Psychology, 105 (2), 249–265. https://psycnet.apa.org/record/2013-03484-001