Le seul élève dans la classe, c'est le prof !

Le seul élève dans la classe c'est le prof !

J.C. Cailliez renverse la classe

 

La meilleure façon d’apprendre, c’est encore d’enseigner. « Chiche ! » nous disent les enseignants qui pratiquent la classe renversée. Vous voulez dire « inversée » ? Non, « renversée ». Une classe où l’unique étudiant est le professeur, et où il y a autant de professeurs qu’il y a d’étudiants.

 

« Je ne fais plus rien et vous faites tout »

Jean-Charles Cailliez a plus de vingt-cinq ans d’expérience en tant que professeur de biologie. Ses spécialités sont la biologie moléculaire et la génétique. Il y a quelques années, il a fait une proposition à ses étudiants : échanger les rôles, utiliser des méthodes actives, travailler en petits groupes. L’enseignant en biologie est convaincant. Il a une solide expérience. Il a rédigé de nombreux livres de préparation aux examens et on ne peut pas le soupçonner de prendre à la légère la réussite académique. Et surtout, il porte un enthousiasme qui donne envie d’essayer. Lors d’une conférence TED, il rejoue la scène.

L’accord paraît injuste. « Je vais mettre les mains dans les poches, et vous allez préparer le cours, trouver des ressources, des illustrations, scénariser, animer, imaginer les évaluations, évaluer.... » Mais dans une vidéo pleine d'humour, il nous montre que c’est aussi plus fatigant pour lui qu’un enseignement classique.

 

Les étudiants le suivent, parfois timidement. Mais le professeur de biologie se heurte également à des murs. On lui oppose des objections : « ça ne marchera qu’une année », « tu n’arriveras pas à terminer le programme », « tu ne peux pas faire confiance aux élèves ».... L’expérience a souvent démenti ces affirmations. Néanmoins, les étudiants demandent aussi parfois un cours magistral sur une notion compliquée.  Jean-Charles Cailliez nous relaie leurs inquiétudes qui portent sur la quantité de travail, le sentiment d’injustice et la qualité du cours, qu’on soupçonne d’être moins bonne que s’il avait été produit par « un vrai prof ».

Mais l’enseignant ne cherche pas à opposer les méthodes. Au contraire, au cours d’une conférence, il affirme qu’il voit réapparaître des livres. Il insiste sur le fait que l’innovation pédagogique ne peut exister que si elle repose sur des piliers académiques. Il faut continuer à travailler sur les fondamentaux, les disciplines pour pouvoir faire de l’innovation en parallèle. « C’est inimaginable de travailler toute l’université en classe inversée ou renversée ».

 

Travailler en groupes

Jean-Charles Cailliez prépare donc une liste de chapitres. Ils sont vides et ce sont les élèves, rassemblés par groupe de six, qui vont les construire. Pour constituer les groupes, il s’inspire de la FIFA, Fédération internationale de football, qui organise les compétitions internationales pour ce sport. Il répartit les « meilleurs » selon les standards académiques, puis ceux qui éprouvent le plus de difficultés. Il poursuit avec des bons, puis des moyens, etc. Et il évite les affinités personnelles. Comme dans une entreprise, on ne choisit pas ses collègues... et avoir ses amis dans d’autres groupes encourage à s’ouvrir.

Chaque équipe se répartit des rôles : elle désigne un responsable, un étudiant chargé de la communication, un autre de la technique... 

La note ou plus largement l’évaluation est attribuée au groupe. Le meilleur élève du groupe et celui qui n’a que peu participé ont le même résultat. Injuste ? Peut-être, mais c’est ce qu’ils découvriront dans le monde du travail, où les résultats sont toujours collectifs. Jean-Charles Cailliez évalue également les compétences comme le respect des délais, la communication, les interactions, l’argumentation ou la qualité des livrables. Il propose une logique d’entreprise, de start-up à ses étudiants, et se présente volontiers en chef d’entreprise à la tête de «business units», ces groupes de six qui travaillent à la production des cours.

 

 

Des activités innovantes

Chaque matin, Jean-Charles Cailliez propose à l’ensemble des groupes une activité innovante et surprenante, qui les oblige à s’interroger entre eux et à l’interroger. Il s’agit par exemple des « QCM inversés », des « tricheries obligatoires », des « interrogations intelligentes »... Cela ne dure que 15 minutes et l’enseignant devenu étudiant insiste beaucoup sur la ponctualité. Ils s’organisent ensuite entre eux pendant une heure et quarante minutes et les cinq dernières minutes sont consacrés à une enquête où ils expriment les points positifs et points d’amélioration de ces deux heures.

Jean-Charles Cailliez présente également les tableaux tournants. Il demande à chaque équipe de faire un schéma explicatif de la séparation de la molécule d’ADN. Les groupes commencent. Après trois minutes, ils changent de tableau et poursuivent le travail d’une autre équipe, et ils permutent encore une fois. Jean-Charles Cailliez n’intervient que les 5 dernières minutes, pour compléter le schéma qui semble le plus abouti.

 

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Une formation ouverte sur l’extérieur.

Les portes de la salle sont ouvertes. Des professeurs d’université ou des administratifs viennent régulièrement assister aux cours et les étudiants alimentent un blogue. Lorsqu’ils corrigent leur professeur, ils mettent sa copie et ses résultats en ligne, et les collègues de l’enseignant commentent aussi parfois à leur tour les réponses et les annotations.

 

 

J.C. Cailliez insiste également beaucoup sur le travail avec d’autres enseignants qui constituent une communauté apprenante et partagent eux aussi leurs expériences.

Beaucoup d’activités reposent sur l’utilisation d’outils collaboratifs, que les équipes choisissent elles-mêmes. Difficile de venir sans équipement connecté en cours. Mais l’enseignant ne donne aucune consigne sur les choix d’équipements ou d’applications. Il avoue même avoir beaucoup gagné en compétences sur ces outils grâce à ses étudiants.

Les observations des étudiants sont elles aussi en ligne. L’enthousiasme de Jean-Charles Cailliez ne l’empêche pas d'interroger très régulièrement ses élèves, et de communiquer les résultats. Son blogue témoigne également de ce dialogue avec les élèves pour faire progresser la démarche.

 

 

 

Illustrations : Frédéric Duriez