Travail de groupe et coopération en TPE (TraAM 2016-2017)

Par Fabien Guidt

 

Travaillant sur les TPE depuis quelques années, l’idée de réfléchir sur d’autres conditions du travail de groupe entre élèves et comment entretenir la motivation sur un projet à long terme, s’est imposée après les bilans des éditions précédentes.

 

Un constat et des axes d’amélioration

L’activité de recherche et le travail de groupe en classe de 1re dans le cadre des TPE au lycée sur un temps relativement long (18 semaines) peuvent faire émerger, par le facteur « groupe » et le facteur « temps », des difficultés que les professeurs peuvent rencontrer dans le suivi et l’accompagnement des élèves :

  • essoufflement et démobilisation des élèves dans le travail au fil des semaines
  • comment entretenir l’implication de chaque élève du groupe et favoriser l’inclusion des élèves en difficulté ?
  • comment réfléchir en terme de pédagogie différenciée et faciliter sa mise en place individuelle à l’échelle d’une classe entière ?
  • comment mesurer de manière efficace la part active et personnelle de l’élève au sein du groupe (1) ?
  • comment rendre cohérent les apports pédagogiques de chaque professeur encadrant les TPE (2) ?
  • comment accompagner, favoriser l’autonomie et la créativité cognitive de l’élève ?

Pour ces raisons, il m’a semblé pertinent de réfléchir à de nouvelles pistes pour organiser le travail coopératif et de s’approprier un outil facilitateur non seulement pour accompagner les élèves mais aussi leur donner les moyens de s’impliquer durablement et de s’organiser sur les 18 semaines que durent les TPE.

 

La mise en place d’un contrat

Trop souvent lancés auparavant sur la liste des thèmes spécifiques et communs aux trois filières générales, les élèves ont pu lors de la séance initiale des TPE réfléchir sur les conditions de réussite du travail coopératif et ses incontournables. Il est à noter que, spontanément, les élèves mettent en relief les valeurs de « bienveillance », d' »entraide », de « respect », d' »égalité », de « répartition équilibrée des tâches »… Les bases d’un contrat de travail coopératif pour les 18 semaines à venir étaient posées et formaient une ligne de référence pour réguler le cas échéant les prochaines interactions au sein du groupe.

Cette activité collective de brainstorming a été relayée par deux temps de mobilisation. Un premier temps visant à faire le choix du sujet d’étude, un second temps réservé à l’émergence des concepts et des notions-clés. Cette activité plutôt classique a été proposée aux élèves de telle sorte à mettre en relief l’apport individuel puis celui du groupe. Ainsi, pour l’émergence des notions-clés, chaque élève devait d’abord relever les concepts, puis lors de la mise en commun, les mots-clés se voyaient attribuer un nombre de points en fonction du nombres d’occurrence dans les phases individuelles. Cette activité, dans la continuité du brainstorming sur les valeurs du travail coopératif, a permis de souligner l’apport personnel et collectif, la responsabilisation de chacun au sein du groupe, de permettre le conflit socio-cognitif et la créativité conceptuelle par l’émergence de notions trouvées seulement lors de la mise en commun finale.

 

S’approprier ensemble un outil de travail coopération et de gestion de projet

J’ai proposé aux élèves un échéancier plus ou moins large (échéancier TPE) et l’utilisation de l’outil Trello (3) pour gérer et organiser leur travail coopératif, tout en gardant trace de leur activité opératoire et rédactionnelle.

L’appropriation par les élèves d’un tel écosystème numérique leur permet d’organiser leur travail coopératif… :

  • mise en place d’un échéancier commun au groupe d’élèves (programmation par encart, création de to do-list, dates-butoir…)
  • partage de documents et de liens (relevé de sources primaires, création et partage de documents rédigés par les élèves…)
  • évaluation et feed-back (par le jeu des commentaires et du suivi)
  • avancer à son rythme et auto-contrôle de l’avancée du groupe par l’échéancier-type diffusé au préalable par l’enseignant
  • apprentissage et appropriation d’un écosystème numérique

… tout en permettant aux enseignants, invités aux tableaux Trello des élèves de :

  • mesurer et évaluer l’activité individuelle et le travail du groupe (fonctionnalités « étiquettes », filtres et horodateur)
  • d’accompagner, commenter, proposer des pistes sur le tableau Trello des élèves : la médiation de l’enseignant en classe est relayée et augmentée par la médiation numérique qu’il peut proposer en dehors des créneaux horaires dédiés aux TPE
  • de télécharger les documents des élèves
  • recevoir des notifications pour suivre l’avancée du TPE de chaque groupe et de basculer facilement d’un tableau à l’autre.
  • de suivre le rythme de chaque groupe et proposer des pistes et des activités différenciées en fonction des besoins des élèves.
  • et de prévenir ainsi le retrait individuel, la démobilisation et d’entretenir une dynamique collective.
  • d’approfondir les notions des disciplines engagées, de travailler les compétences en EMI et les compétences psycho-sociales inhérentes au travail de groupe.

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Ci-dessus, le tableau d’élèves travaillant sur le Printemps arabe permet de voir le découpage temporel et la planification des taches (encart, dates-butoir…). L’horodatage (partie droite de l’écran) permet de mesurer l’activité personnelle de l’élève.

 

Ci-dessous, nous pouvons voir dans la première colonne l’ensemble des tableaux que les professeurs peuvent suivre et consulter.

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Comme le montre le tableau ci-dessus, chaque encart peut être commenté, contenir des fichiers destinés au téléchargement, être partagé entre les coopérateurs (symbolisés par les étiquettes de couleur : ici jaune, verte et rouge)…

 

Ci-dessous, nous avons un exemple d’encart consulté. Nous voyons plus précisément les fonctionnalités décrites dans l’article, ainsi que l’ébauche de plan et l’avancée des recherches d’informations pour chaque sous-partie.

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Des compétences en EMI aux compétences psycho-sociales : un levier pour susciter la créativité cognitive

Les compétences en EMI (voir la matrice EMI) travaillées avec ce type d’outil relèvent des objectifs 1 (être auteur : consulter, publier), 2 (comprendre et s’approprier les espaces informationnels), 3 (partager des informations de manière responsable), 4 (comprendre, expérimenter le web et sa structuration), 5 (assumer une présence numérique) et 6 (argumenter : analyser et développer un point de vue). L’élève prend conscience dans son mode opératoire et cognitif des compétences liées à l’EMI et qui seront travaillées par couches successives au fil de l’avancée des TPE.

Le travail de groupe et les conditions de coopération sont construites par et pour les élèves. Le champ des possibles, offert par l’utilisation d’un outil de planification, est varié et flexible assurant ainsi une meilleure appropriation par les élèves et une ouverture à la créativité cognitive facilitée par les conflits socio-cognitifs émergés et les défis par paliers définis par les élèves et régulés par l’enseignant.

Les entretiens en fin de projet avec les élèves (à partir des groupes ayant utilisé Trello et des groupes-témoins ne l’ayant pas utilisé) montrent que l’utilisation de l’outil de planification et de partage a facilité :

  • l’organisation dans le groupe et dans le temps
  • la définition et le partage des tâches
  • la collecte, le traitement et la diffusion des informations
  • les échanges avec l’équipe enseignante
  • la responsabilisation et l’autonomie des élèves
  • la créativité cognitive et la métacognition, permises par les pauses sructurantes et organisationnelles, et les paliers-défis motivant les élèves.

Sur l’ensemble de la classe, les élèves n’ayant pas utilisé l’outil ont manifesté plus de difficulté au niveau de la gestion du temps et de la profondeur des notions abordées. Les élèves dans cette situation ont également eu plus de difficultés à verbaliser leurs activités opératoires et leur processus cognitif, le plus souvent même sans savoir les reconnaître ou en avoir conscience.

Au fil du projet, les élèves utilisant Trello ont pu, par les conditions créées par leurs soins et facilitées par l’outil, réajuster leurs objectifs, leurs activités au cours des travaux de recherche, trouver des solutions variées quant à leur démarche et leurs production.  L’outil de planification et de travail coopératif leur a permis non seulement d’identifier les objectifs et leurs besoins en augmentant leur capacité d’anticipation, mais également, en s’appuyant sur les idées de chacun,  de revenir sur et d’imaginer une organisation au sein du groupe, des façons d’apprendre et de questionner, en autonomie, leur cheminement réflexif et opératoire. L’usage de l’outil semble être un catalyseur quant à l’activité métacognitive de l’élève et permet de créer et d’entretenir, par la médiation plus ou moins dosée de l’enseignant en fonction des besoins des élèves, les conditions d’une coopération et d’une créativité cognitive, suscité par le désir d’avancer et de franchir les paliers, et l’estime de soi.

Les TPE sont également l’occasion de faire l’apprentissage du travail de groupe et les élèves, en structurant et abondant leur tableau, ont pu appréhender les compétences psycho-sociales et leurs différentes habiletés :

  • verbalisation de leurs difficultés et de leurs besoins, imagination des solutions, appréhender les divergences d’opinions au sein du groupe, évaluation… (compétence « résoudre les problèmes / prendre des décisions)
  • exploration des solutions, capacité à analyser et à s’adapter (compétence « avoir une pensée créative, une pensée critique »
  • affirmation de soi mais aussi reconnaître son besoin d’aide et gérer les divergences ( compétence « être habile dans les relations interpersonnelles »)
  • renforcer la confiance en soi, vers l’épanouissement par la réussite individuelle et collective (compétence « avoir conscience de soi, de l’empathie pour les autres »)
  • planifier, gérer son temps et son stress (compétence « faire face à son stress, à ses émotions »)

Vers une coopération enrichie entre professeurs

Ces activités menées en TPE incitent forcément à réfléchir à la fois sur le positionnement du professeur mais également sur la coopération entre professeurs dans le suivi des élèves.

Toutes les notions abordées dans les paragraphes précédents doivent inciter l’enseignant à se positionner comme régulateur et médiateur, proposant des pistes d’organisation, d’exploration, de réflexion (par rapport aux valeurs de coopération, à l’échéancier, à la dynamique structurelle et cognitive du groupe), n’hésitant pas à lâcher prise parfois pour inciter les élèves à évoluer en autonomie, à dépasser ou contourner la difficulté par leur créativité collective.

La veille de l’activité opératoire, même en dehors de la classe, et la variété élargie du soutien apporté doivent être certes prises en considération. Mais les apports aux élèves en terme d’autonomie, de métacognition, de confiance, de capacités coopératives et créatives, de différenciation pédagogique (à condition d’éviter la dérive visant à se distribuer les tâches en fonction de ce que les élèves savent faire), l’enrichissement et la trace du suivi des enseignants interagissant avec les tableaux des élèves se renforcent, gagnent en pertinence et jouent considérablement sur l’apprentissage des élèves et le climat de la classe.

 

Dans le travail de réflexion de cette année sur les modalités à mettre en œuvre pour favoriser la coopération et la créativité des apprenants, j'ai échangé avec Anne Bresard de l'Académie d'Aix Marseille et Ludovic Gavignet de l'académie de Nancy-Metz. Nous avons publié une synthèse de nos expérimentations dans un tableau multi-critères : https://www.pedagogie.ac-aix-marseille.fr/upload/docs/application/pdf/2017-06/tableau_synthese_traam_30_janvier_2017_1.pdf

 

1. Le carnet de bord peut être collectif ou individuel. Dans le cas du choix d’un carnet de bord individuel, il apparaît souvent que les élèves ont tendance à reproduire les mêmes traces écrites et à rapporter de manière identique les avancées et les difficultés du groupe, ne représentant ainsi aucune plus-value quant à un carnet de bord collectif.
2. Il n’est pas rare en effet de rencontrer des élèves égarés par les remarques successives des professeurs encadrant les TPE.
3. Au moment de la préparation du projet, le choix de Trello, par rapport à d’autres outils comme Framaboard de la suite Framasoft, s’est expliqué par les fonctionnalités proposées par le premier et détaillées dans les paragraphes infra.